Aux Comores, l’ascension discrète mais déterminée de Abdou Mbalia Zainoudine, l’agriculteur qui bouscule les codes

Sur les hauteurs verdoyantes d'Ouzio, dans la région de Mitsamiouli, un couple comorien incarne depuis quatre ans une révolution silencieuse. Ni ingénieurs agronomes, ni héritiers d'une grande exploitation, Abdou Mbalia Zainoudine et son épouse Mariama Ahamada ont pourtant su imposer un modèle agricole artisanal, durable et rentable, devenu une référence locale.
Ancien administrateur de l'État et enseignant d'histoire, Mbalia décide en 2020, au cœur du confinement lié au COVID-19 de quitter le confort relatif de la fonction publique pour miser sur ce qu'il considère comme « le seul avenir viable du pays : l'agriculture ». À ses côtés, Mariama, institutrice de formation, accepte de relever le défi. Ensemble, ils fondent le label Mbalia Agro-Ouzio, aujourd'hui synonyme de légumes biologiques, de produits vivriers authentiques et d'une résilience rare dans le paysage agricole comorien.
Un choix de vie guidé par la conviction et la sobriété
Sur une terre encore marquée par le sous-investissement agricole, le couple démarre avec « les moyens du bord » : outils traditionnels, irrigation rudimentaire, absence de mécanisation. Pas par folklore, mais par nécessité. Malgré ces contraintes, ils parviennent à produire chaque année plus de 5 tonnes de légumes, tomates, piments, concombres, brèdes, fruits tropicaux, vendus en porte-à-porte, en marchés ambulants et sur commande lors des fêtes traditionelles.
Les résultats dépassent leurs propres attentes :
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autosuffisance alimentaire familiale,
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scolarisation continue de leurs enfants,
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construction progressive de leur maison, aujourd'hui en phase de chaînage,
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transmission de nouvelles techniques de culture aux agriculteurs voisins.
Pour Mbalia, « aller loin exige persévérance, courage et discipline, quelles que soient les occupations ». Le message fait mouche : le couple attire désormais l'attention de toute la région.
Le Mdranda : un modèle coopératif inspiré mais adapté au contexte comorien
Face aux obstacles persistants, absence de subventions, pénuries logistiques, retards de livraison, le couple ne cède pas au découragement. Mieux : il innove.
En 2022, Mbalia et Mariama créent avec d'autres producteurs un système collectif d'entraide baptisé Mdranda, qui rappelle certains dispositifs coopératifs observés ailleurs sur le continent africain. Dans plusieurs pays d'Afrique de l'Est ou du Sahel, des initiatives similaires (comme les chamas kenyans ou les tontines agricoles camerounaises) permettent à des agriculteurs de mutualiser main-d'œuvre, savoir-faire et équipements.
À Ouzio, le Mdranda suit la même logique, mais à échelle humaine :
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des groupes de 10 à 15 agriculteurs,
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chacun mobilise la main-d'œuvre du groupe le temps d'une journée,
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en retour, il apporte son aide aux autres membres.
En une journée seulement, deux à trois parcelles peuvent être totalement préparées pour recevoir semences et plants. Le système a déjà permis à plus de 30 personnes, dont 20 agriculteurs en coopération active, répartis équitablement entre femmes et hommes, de développer leurs exploitations.
Outre la solidarité, le Mdranda instaure une dynamique économique : chaque projet collectif génère un fonds destiné à l'achat de logistique commune, réduisant la dépendance aux solutions coûteuses et aux équipements importés.
Un impact social et économique qui dépasse le cadre agricole
En quatre ans, Mbalia Agro est devenu un acteur clé dans la région de Mitsamiouli. Au-delà de leur production, le couple transmet des pratiques de culture plus durables : rotation des sols, utilisation raisonnée de l'eau, fertilisation naturelle, protection de la biodiversité. Leur ferme est devenue un laboratoire de pratiques agroécologiques, visitée régulièrement par des jeunes désireux de se former.
Comme dans certaines régions rurales du Rwanda ou du Ghana, où de petits exploitants structurent de véritables micro-écosystèmes agricoles, le cas du couple Mbalia illustre une tendance majeure : l'avenir de l'agriculture africaine passe aussi par des initiatives communautaires fondées sur l'entraide, la sobriété et la maîtrise locale des savoir-faire.
Un modèle d'espoir pour les Comores
À l'heure où l'archipel cherche à réduire sa dépendance alimentaire, l'histoire de Mbalia Zainoudine et Mariama Ahamada apparaît comme une démonstration vivante : avec de la volonté, une organisation collective efficace et une gestion rigoureuse du temps, il est possible de produire localement, durablement, et de créer de la valeur.
Leur réussite ne tient pas à la puissance des machines, mais à la force de la coopération.
Leur conviction est simple : aux Comores, la terre n'attend que celles et ceux qui osent y croire.

